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Quand  ce qui prête à rire donne à penser !

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LE LÉOPARD MASQUÉ

La griffe du roman comique

Gordon Zola se livre...


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Extrait 1 des mémoires de Gordon Zola (tome 24)

 

…/…

« Gordon Zola, c’est votre vrai nom ?

— C’est mon vrai nom d’auteur. »

Rire sous cape.

« Vous êtes de la famille d’Émile ?

— Pas encore ! »

Regard malicieux et complice.

« J’avais cru voir gorgonzola ! Hé, hé !

— Pourtant, je ne suis pas un bleu ! »

Côtes secouées.

« Vous êtes un auteur qui sent fort ! Hé, hé !

— C’est l’odeur de sainteté ! »

Un mort… de rire !

« Vous savez que vous m’avez sauvé de la dépression ?

— Ah, si j’avais été là en 29 ! Reprenez donc une intégrale… Le monde va si mal ! »

« On vous a déjà dit que vous étiez le Mozart de la littérature ?

— Oui, il y a une seconde, aussi vous demanderais-je de le répéter assez fort. »

Magie des salons, des foires à livres, féerie des rencontres, des situations improbables… Toutes ces phrases à podium humoristique qui vous gonflent l’âme à l’hélium, qui secouent votre encre, qui embellissent vos efforts ! Ces petits riens qui vous font penser que vous êtes sur une voie qui n’est pas de garage, ces virgules amusantes qui compensent quelques coups de poing sur les « i » :

« Peuh ! Si Pierre Dac vous lisait, il se retournerait dans sa tombe !

— Le mors aux dents ? »

La vacherie railleuse.

Règle du jeu… On s’expose ! On s’impose ! On explose !

Oui, la voie est bonne… parce que l’artiste reste utile, plus que jamais ! Si on n’oublie pas que même la littérature est un sacerdoce d’artiste… Métier sur le fil… du rasoir… Pour soi… Faut pas raser les autres ! L’écriture, c’est la course à l’émotion, la mise en danger, le type au bord du précipice… C’est en lisant Céline que j’ai compris ! Comme beaucoup… Pas très original, mais j’ai transposé… pour taper là où ça fait rire ! L’émotion du diaphragme, plein plexus avec accompagnement zygomatique.

Pas une coïncidence… J’ai demandé… et j’ai dit, s’il vous plaît… Oui, bien poli, bien policé, avec des manières d’autrefois et une génuflexion appuyée… Allégeance :

« Si c’est possible, monsieur le dieu des écrivains, alors, c’est ça que je veux faire ! Artiste-écrivain ! Quelque chose d’original, quelque chose qui respecte la littérature… Du style, du panache, de l’imagination, une vie et un pantalon décousus, des errances, des fulgurances, des provocations, des traits de génie… une pointe d’ancien avec du neuf bien brillant… quelque chose qui m’empêcherait de terminer dans le goulag des faux auteurs… J’aurais pas envie de côtoyer Werber, la fourmi laborieuse, l’Angot sans génie, l’âne à Gavalda, le Levy sans Strauss, le Musso vinaigrette, Beigbeder, le dandy de la farce, et tant d’autres… dans ces maisons de redressements littéraires dans lesquelles on va les enfermer bientôt… pour usurpation d’identité talentueuse ou pour identité tueuse de talent ! Je voudrais un petit quelque chose qui laisse surnager une idée originale avant l’extinction de l’espèce “écrivain”… Et ce petit quelque chose, si ça pouvait être drôle, Seigneur, ça serait parfait. Je veux bien être le dernier glaçon qui fond… »

Alors, Dieu m’a répondu comme dans Don Camillo — mais avec une voix plus aiguë :

« D’accord ! a-t-Il dit. Tu t’appelleras Zola comme Émile et Gordon comme Flash… Tu auras le talent de l’un et la lumière de l’autre ! Tu seras le meilleur ! Et conscient de l’être ! Tu pourfendras les cuistres de ta faconde implacable ! Tu te moqueras des icônes – les sociales, parce que celle du culte l’ont été suffisamment –, tu ridiculiseras les sans-saveurs du livre, les presse-agrumes de l’édition, les autoproclamés, les autoflagellés, les auto-tamponneurs, les faiseurs de postures, les germanopratins, les genres manouches pantins, les critiques à l’air facile de l’art difficile… Tu parodieras, tu pasticheras, tu attaqueras tous ceux qui se croient quelque chose en essayant de se faire passer pour quelqu’un… Ta mission sera rude, mais elle sera le prix de ton talent et de ta liberté ! Ah ! autre chose : tu inventeras les éditions du Léopard Masqué pour prescrire le roman humoristique afin de remonter le niveau zygomatique de la France morose ! Et ta devise sera : “Quand ce qui prête à rire donne à penser !” Ça te va ? »

J’étais ébaubi par ce message divin.

« Parfait… si on pouvait remplacer “talent” par “génie”, répondis-je avec la timidité discrète qui me caractérise. »

« Gourmand ! Allez, soit… Je te fais génie, mais attention ! a-t-Il ajouté. Tu es condamné à être drôle ! »

Et voilà comment je fis mon incursion dans le monde très fermé des lettres françaises !

…/…

 

Extrait 2 des mémoires de Gordon Zola (tome 24)

 

Dès l’hiver 2004, sous le haut patronage du Tout-Puissant et la surveillance de quelques investisseurs aussi imprudents qu’audacieux, l’aventure du Léopard Masqué commence. Le félin des savanes se risque enfin dans la jungle du livre, habilement déguisé en Zorro. On notera toute la valeur du symbole… Le vengeur masqué partant à la défense des zoos brimés ! Que voulez-vous, il fallait bien qu’on s’occupe des lecteurs orphelins des Dac, Dard, Boudard, Renard, Audiard, Blanche, Perret, Fallet, Allais, Bernard et autre Daninos… Mais en France et en littérature, l’humoriste plumiste se doit d’être masqué… Faire de l’humour assumé dans les lettres françaises semble suspect ! Pas grave. Je me lance avec la candeur de l’homme qui ne sait pas ce qui l’attend… Les monstres au tournant ! Du libraire sauvage, du diffuseur barbare, de la presse dépassée, du critique assoiffé… Que du véloce en méchanceté pour le petit nouveau… Pas de place pour les têtes nouvelles ! Ça rend le libraire neurasthénique… Trop de sorties ! Trop de livres !

— Quoi ? De l’humour, en plus ? Vous plaisantez ?

— Ben oui !

— Et ça vous faire rire ?

— Ben oui !

— C’est quoi, vos titres ?

— Les Suppôts de Sitoire, La Fausse Celtique, Fais gaffe à ta Gaule, La Dérive des incontinents…

— Et ça vous fait rire ?

— Ben oui !

— Pauvre France !

— Z’en voulez pas deux ou trois pour votre magasin ? J’en ai fait imprimer quatre mille de chaque !

— Dehors !

— Au moins par respect pour les arbres…

— DE-HORS !

Roulez jeunesse ! Livres dans le coffre ! Pied au plancher ! Foi du charbonnier ! Savait pas, le pauvre Gordon, que vendre deux cents livres, c’est beaucoup… Alors, quatre mille ! Vingt ans de marchandise ! Du labeur sur le long terme, tout en optimisme ! Que de portes claquées, de soufflets reçus, de reçus soufflés, d’incompréhension, de moquerie pour essayer de faire rire le lecteur ! Pour tenter de rendre un peu de bonheur sur le visage sinistrosé de l’animal contemporain ! Comment faire ? L’édition indépendante est une équation diabolique… que du X ! Éditeur inconnu, auteur inconnu, sujet inconnu… Une équation qui ne peut mener qu’au pilon ! Si la patte de poulet porte chance aux superstitieux, le pilon, lui, signe la mort d’un livre, parfois d’un auteur.

Veux pas mourir !

Alors, reste quoi ?

Ben, oui… L’idée de génie !

Coup de chance… Je l’ai eue !

 

Extrait 3 des mémoires de Gordon Zola (tome 24)

 

Nous sommes alors en pleine harrypottermania quand l’idée me frappe de plein fouet (celui d’Indiana Jones), l’idée qui vous hante pendant plusieurs jours, celle qui vous porte à allumer un cierge pour dire merci… Quand vous avez une idée comme celle-là, vous vous retournez pour voir la tête de celui qui vous l’a glissée à l’oreille… Personne, évidemment !… Alors, vous levez la tête parce que le souffleur, il est au-dessus… Tout blanc, tout sourire, tout magnanime, avec une auréole, du lit en nuage et de la barbe blanche jusqu’au pied (non, c’est pas le père Noël !)… Cadeau du ciel !

« Tiens, mon grand, je file l’idée, mais tu fais le reste !

— Oui, m’sieur Dieu, merci mille fois. »

Ce gars-là a vraiment un grain de bonté.

Tout le monde le sait : Harry Potter, c’est la poule au dieu d’or, l’idée magique, envoûtante, ensorcelée… Le succès imprévisible. Tout le monde en veut… Les fans et les enfants d’abord, puis les mamans, les libraires, les enfants de libraires, les mamans de libraires, les éditeurs, les distributeurs, les journalistes, Hollywood… Tout le monde veut croquer dans le gâteau géant, avoir sa part ! Et tout ça, sur le dos de qui ? Je vous pose sérieusement la question… Sur le dos des sorciers ! Oui, m’sieurs-dames, des pauvres sorciers, qu’on prenait autrefois la peine de brûler sur des convictions ardentes, et qu’on méprise aujourd’hui, qu’on ridiculise… La sorcellerie serait-elle devenue un jeu d’enfant ? Et si les vrais méchants, fatigués qu’on joue avec leur image, se vengeaient ! Si les fabricants d’amulettes, les piqueurs de poupées, les marabouts, les tourneurs de soupe aux crapauds, les durs à vaudou, les magiciens noirs, bref si toute la clique des tutoyeurs de Belzébuth, incubes, succubes et autres apéricubes décidaient d’organiser une résistance aux mercantiles…

Imaginez que pour asseoir leur vengeance sur un siège à vacheries, les baguetteurs de l’extrême décident de faire sauter les usines de balais et de dévaster les champs de citrouilles ! Qu’ils projettent d’enlever l’acteur-vedette des films ! Et surtout qu’ils volent le dernier livre de J.K. Rowling !

Ah ! La belle pagaille !

Je tenais mon idée !

J’allais être le porte-parole des envoûteurs ! J’allais écrire le livre des vengeurs à chapeaux pointus, des laissés-pour-compte de la sorcellerie, des dupes de la wizard commercial attitude !

J’avais le titre : C’est pas sorcier, Harry !

Sur une idée de ce genre, on croise toujours les timorés de service… Le monde du livre en compte une belle brochette ! Les enfonceurs de portes ouvertes, les pisteurs de rails, les pensequasuiveurs, tous ceux qui vous expliquent pourquoi ça va pas marcher… Qui tentent de vous prouver par âne + bête que vous êtes dans l’erreur, pour ne pas dire dans l’ignorance… Alors, le mieux dans ces cas-là, c’est de se débrouiller tout seul. Les gros diffuseurs ne voyaient pas l’enjeu ? Tant pis, on le fera à la main et à l’ancienne : coups de fil et livres dans le coffre, salons et porte à porte !

Une fois sorti des presses, le livre est envoyé à la presse… Là encore, les observateurs ne se bousculent pas à la porte de Châtillon… Le silence médiatique résonne fort… Aucune voix aux chapitres… aux trente-sept chapitres du livre ! Rien ! Le chant du paon se transformerait-il en chant du cygne ? Vais-je rester chèvre avec mon book ? Personne n’entend donc ce petit rire caustique qui secoue les côtes de mon léopard ? Eh non, personne… Triste sire, ce gai-là ! Nouvelle tentative : alerter le rédacteur en chef du magazine Lire qui vient de créer l’émission « La Grande Librairie » sur France 5… Plateau bibliophile, écrivain-cravate, fauteuil cuir, mèche rebelle, doigt questionneur, libraire trié sur l’envolé, un peu de poil à flagorner et de l’éditeur homologué… Tout pour réussir dans le grand monde des gens de lettres ! Je me lance… Jet de plume sur papier venin ! Grâce et vitriol ! Me fends d’une lettre qui n’est pas piquée des vers (elle est en prose)… Lui explose l’objet de mon ressentiment, lui narre la nature de mon courroux… Quelque chose d’assez beau, sans tendresse excessive, du descriptif avec de l’humour sucré et une pointe de rudesse… Quelque chose de viril, en somme.

La réponse ne se fait pas attendre : pas de réponse !

La voix de l’indépendant reste aux urnes… Restons zen !

Pas grave, j’aurais bien l’occasion de lui tailler un costard à sa taille dans un prochain roman ou mieux : je passe à autre chose ! Pas utile de s’égarer le cervelet avec du futile.

Je continue donc à travailler à l’ancienne… tout seul… à la main… Camelot tout terrain… Je me fais la voix sous les chapiteaux comme le chanteur en tournée…

Résultat : premier petit bête-c’est-l’heure pour les éditions du Léopard Masqué !… Mais compte tenu que sur dix livres publiés, huit perdent de l’argent, fallait se méfier des prochains…

 

Extrait 4 des mémoires de Gordon Zola (tome 24)

 

…/… C’est pas sorcier, Harry ! a installé, pour un noyau dur de lecteurs, les frasques calembourdines de mon personnage récurrent : Guillaume Suitaume – notez que je suis parfaitement bilingue en jeu de mots –, un commissaire profileur aux méthodes et à la pensée iconoclaste, cerné de personnages truculents, hauts en couleur, fatigants et excessifs… Les livres s’arrachent ! Le ton monte, le succès aussi. L’impitoyable course aux salons continue, s’accélère… Peu à peu, les productions du Léopard se gordonzolalisent et les publications annexes se marginalisent… Loi du marché… Dans l’édition, un livre sur deux se vend à moins de cinq cents exemplaires ! Alors, faut serrer les fesses (et pas ferrer l’SS) ! Marcher là où ça brille !

Le Dada de Vinci avait amorcé la pompe, C’est pas sorcier, Harry ! avait assis l’auteur pervers, amateur de sévices textuels, Qui veut la peau de Marc Levy ? avait confirmé le littérâleur ! Dieu avait-il misé sur le bon cheval ? J’avais la faiblesse de le croire, encore fallait-il continuer à monter la barre toujours plus haut… Être pertinent en étant impertinent : magie de la langue française qui sait cumuler les paradoxes. Mais avec qui jouer ? Quelle icône allais-je bousculer à la mode romanesque (c’est mon credo) ? Sarkozy ? Trop facile… Tous les ahuris de la gouache plurielle, les faux rebelles, les grands panseurs de démocratie, les hurleurs de meutes s’y sont collés… Faire capoter le pape ? Laissons les spécialistes du dogme athéiste s’en charger avec l’inefficacité qu’on leur connaît… Les pédophiles de l’Église qui tous les dix ans servent de caution à ceux du civil mille fois plus nombreux ? Non merci, c’est une posture pour la gogo attitude ! Au dogme du réchauffement climatique ? (déjà fait avec mon livre La Dérive des incontinents)… Alors, quoi ? Et paf ! Je vous le donne Émile… Un matin au réveil, alors que je trempais mon camembert dans mon café olé, voilà-t-y-pas l’idée qui me transperce ! L’image envoûtée, celle qui vous range dans la catégorie des génies-encore-ignorés-mais-plus-pour-longtemps ou dans celle, moins rares, des parfaits abrutis ! (Mon entourage n’a pas encore tranché.)

Tintin et Milou

Ha ! Ha ! Ça vous secoue l’occiput, hein !

Tout le monde connaît, non ?

Non ? Incroyable ! Mais si, souvenez-vous, Tintin, le jeune reporter, et son dog Milou, le chien blanc roublard et frisotté… Les Aventures de Tintin et Milou, la plus célèbre bande dessinée belge qui fit la gloire de son créateur Georges Remy pendant plus de cinquante ans ! Albums mythiques qui firent naître tant de vocations chez les journalistes… Toutes ces âmes donquichottesques.

Ah, la belle idée, avouez ! J’allais parodier l’intégrale de l’œuvre d’Hergé ! Tous les titres ! À la casserole de la rigolade ! M’amuser de l’icône… L’hommage et la déconnade tout en un ! Train-train au Congo, Saint-Tin et l’amer hic, Saint-Tin et les p’tits carrosses, Coq en toc, Objet qui fume, On a fait un marché sur la Lune, Les bijoux du castrat fier, L’Oreille glacée… Et tant d’autres ! Et toc ! Toute une série romanesque allait voir le jour. Retrouver les joies et les rêves de l’enfance tout en réinventant… Ah ! Le bonheur ! Non seulement c’était jubilatoire et drôle, mais en plus c’était beau !

Ni une ni deux, je m’attelle au labeur comme le bœuf à sa charrue. Je me replonge dans l’œuvre de référence pour la redécouvrir avec des yeux de « grand » et d’artiste (là, je ne mets pas de guillemets), pour m’imprégner, comprendre où se niche le génie de la bête ! La parodie est tout un art… Il faut avoir l’ambition d’être meilleur… Prétentieux mais nécessaire. C’est pas savoir qu’il faut, c’est sentir… Capter l’ambiance, comprendre ce qui est caché… Le but n’est pas de tomber dans quelque chose de grossier, de boursouflé, de vulgaire, mais de parodier avec subtilité… d’introduire de la psychologie, de la fêlure. Là où le Tintin d’origine est lisse, asexué et simple parangon de vertus cardinales, le mien doit devenir un personnage qui souffre, qui s’interroge, qui doute… Les personnages qui l’entourent aussi.

L’idée m’enchante de plus en plus… Il y a là un axe d’écriture vraiment original et inédit. Un écrivain ne doit s’aliéner aucune piste de création possible. Problème : les cassandres se réveillent autour de moi !

« Ne fais pas ça, Gordon, ils vont te ruiner !

— Qui ?

— Les héritiers d’Hergé ! L’homme qui contrôle l’image de Tintin, l’Anglais ! C’est un éradiqueur !

— Si on peut tout parodier sauf Tintin, il faut faire une loi d’exception ! que je réponds, naïf.

— Oui, mais lui, c’est un vrai méchant ! »

Ah bon… Il faudrait donc se coucher devant les « vrais méchants » sous prétexte qu’ils énoncent leur vérité avec une certaine énergie ! Est-ce la philosophie à adopter pour un éditeur de littérature humoristique ? Crois pas. Si la ruine est le prix à payer pour garder sa liberté de créer, alors l’enjeu en vaut sans doute la chandelle…

C’est décidé !

Je me lance… Je bâtis un cahier des charges assez rigoureux, puis j’accouche d’une vingtaine de scénarios décalés. Reste à les écrire… Ma première idée est de prendre un auteur différent par roman… Je pense à Jean Teulé qui me répond avec une élégance contenue « qu’il déteste les partouzes littéraires » (pet à son âme !), à Jean-François Derec qui m’avoue que sa femme n’est pas chaude (pour le projet, sic) … Patrice Dard, le fils du grand Fred, et continuateur inspiré des San Antonio, ne veut pas être « accusé » de se (compro)mettre uniquement dans les traces des géants… Bon, convenons-en, le projet à l’air de plaire, mais faut d’abord que je m’y brûle les ailes tout seul ! J’ai compris. Un ou deux copains et une copine aux plumes fantasques qui cultivent un anonymat charmant m’aident à lancer l’affaire… qui se retrouve vite dans le sac.

Moins de trois mois plus tard, les quatre premiers opus sortent et croisent un début de succès… Entre-temps, j’avais réussi à convaincre un imposant distributeur de m’accompagner sur l’affaire. Le mammouth croit au projet puisqu’il omet de me faire signer une clause de protection en cas de pépins… Je mets ça sur le compte de mon œil de biche rigolard et de mon sang-froid apparent… D’ailleurs, pas de raison de noircir la ligne claire, le projet semble bien bordé. Les ventes sont encourageantes, les premiers livres séduisent le public, mais c’est un travail sur le long terme… J’ai prévu l’intégrale de la série – vingt-quatre romans – sur moins de deux ans.

J’avais prévu l’intégrale, peut-être, mais ce que je n’avais pas prévu, c’est la descente des gendarmes, armes au poing, chez mon imprimeur et chez mon distributeur !

Les vicieux étaient de sortie !

 

Extrait 5 des mémoires de Gordon Zola (tome 24)

 

« Allô, monsieur Zola ?

— Hein ?

— Monsieur Gordon Zola ?

— Ah oui ! »

Huit heures. Au saut du lit, ça surprend toujours.

— C’est Geneviève Hirépas de l’imprimerie La Ballerine…

— Oui, Geneviève ?

— Je vous appelle (sanglot dans la voix) parce que nous avons les gendarmes ici !

— Ah ? Vous allez faire mauvaise impression dans le pays !

Et toc ! On se refait pas… Je suis Gordon Zola, quand même ! Sens de la réplique même en caleçon à fleurs.

Elle passe outre mon humour désopoilant.

— Ils n’ont pas l’air très content… Les huissiers non plus !

Je ne comprenais toujours pas pourquoi mon imprimeur me prenait à la descente du lit pour m’annoncer une descente de police.

— Ils fouillent partout…

— Hein ? Ils cherchent quoi ?

— Vos livres !

Outch !

La lumière, soudain ! La manivelle plein pif ! L’affreux s’était réveillé ! L’héritier sauvage ! L’Anglais égaré ! Le coucou grippe-sous ! Il arrivait des Carpates, tout vampire ! Toutes dents dehors ! L’assoiffé du sang jeune, du sang vif ! Il arrivait toute police au vent pour en découdre ! Sans fleurs au bout de ses fusils ! Les grands moyens ! Avec du bazooka spécial mouche ! Toute une armada batailleuse et quémandeuse pour écraser l’infâme contrefacteur ! Le plagieur Gordon Zola ! L’ignoble moi !

— Ils mettent des scellés partout, m’sieur Zola !

— Hein ?

— M’sieur Gordon Zola.

— Ah oui !

— Et ils saisissent les fichiers informatiques ! C’est une saisie pour contrefaçon !

Le premier moment de stupeur passé, je m’isole dans un second moment de stupeur qui passe mal. J’essaye de réfléchir à cent à l’heure, mais en matière de saisie pour contrefaçon, je suis en rodage… J’ai le cerveau qui patine. Heureusement, j’ai acier de nerf pour faire face… Je souris… Geneviève ne le voit pas, mais je souris quand même pour me donner de la contenance.

— Ne vous affolez pas, Geneviève…

— C’est pas facile, monsieur Zola… monsieur Gordon Zola ! Ils disent qu’ils vont retirer toutes vos parodies de Tintin de toutes les librairies !

— Mais c’est impossible, Geneviève ! Il leur faudrait un huissier par département… C’est de l’intox !

Je n’y connais pas grand-chose en matière de vacherie judiciaire, mais je crois me souvenir qu’une saisie pour contrefaçon ne peut se faire que département par département… Pas très sûr de moi, certes, mais je vois mal comment un huissier mandaté à Neuilly-sur-Seine peut prétendre qu’un référé permettra d’enlever les livres d’une librairie de Marseille ! Visiblement, la peur du gendarme ne suffit pas, il faut y ajouter l’intoxication « Ah, les menteurs ! »

Faut se rendre à l’évidence : me voilà dans de beaux draps bien sales !

— Ne vous affolez pas, Geneviève !

C’est stupide pour ne pas dire un peu farce, mais ce sont les seuls mots qui me viennent à la bouche (heureusement qu’ils ne viennent pas ailleurs !), « Ne vous affolez pas, Geneviève ! »…

Je devais parler pour moi, en fait !

 

Extrait 6 des mémoires de Gordon Zola (tome 24)

 

…/… Les semaines qui suivirent la saisie pour contrefaçon furent laborieuses et anxiogènes. Sentiment assez étrange qui vous fait passer de l’état de romancier humoristique, rigolard et facétieux, à celui d’emmerdeur patenté qui ressasse son affaire. Mais la vie continuait… Fallait bien assurer le minimum vital et courir les salons et les foires du livre pour faire bouillir la marmite et le génie !

Entre deux déplacements, deux écritures, deux idées, je devais préparer ma défense avec mon avocate pour le procès… Dans ces cas-là, tout le monde veut vous aider, mais personne ne fait rien… C’est la règle ! En revanche, j’ai testé une chose incroyable : tout le monde connaît l’avocat sublime qui peut vous sortir du guêpier ! J’ai une liste… Au moins trente noms ! Que du beau, du blanchi sous le harnais ! Du ténor merveilleux ! Du baveux légendaire ! Mon iPhone est plein de Roberto Alagna du barreau ! Pas compliqué… Je pourrais monter un cabinet ! « Prends mon avocat, il est incroyable ! », « Essaye maître Honorme, il gagne tout ! », « Tu connais Emmanuel Pierrat ? Avec lui, tu ne peux pas perdre ! », « Maître Untel, il connaît tous les juges ! », « Je vais te filer les coordonnées d’un type qui va les dé-chi-rer ! », « Pourquoi t’en prends pas un que tu payes au résultat ? », « Heu… ! En fait… Heu… Merci les gars… mais… comment vous dire… J’ai déjà un avocat ! », « Ouais… mais s’il est mauvais t’es mort ! », « Ah ? »… Et patati et patata… Bref, t’es seul !

Trois mois plus tard, le procès dégringole. Un procès, c’est dur ! Je ne dis pas « difficile », je dis bien « dur » ! Dur comme des poings de boxeurs ! Dur comme une porte en chêne qui se referme trop vite ! Dur comme le marbre dans lequel sont gravées les lois ! Les représentants des héritiers d’Hergé sont des killers ! Le riche Nick Rodwell sait s’entourer… Il prend du bon, du cher, du fidèle ! Maître Eva Train, la locomotive des prétoires ! Elle part bille en tête… Parodier les aventures de Tintin a quelque chose de blasphématoire ! Nous sommes dans du religieux, plein dogme ! Le temple Tintin ne saurait être profané par quelque trublion sans talent, sans imagination… De l’escroc déguisé en pseudo-auteur ! « Derrière l’homme de belle prestance (tiens, c’est moi ?) se cache Machiavel (encore moi) ! Cet individu a voulu s’accaparer l’œuvre du maître Hergé pour accoucher d’œuvres médiocres ! » Ah zut ! Je suis insuffisant en plus ! Trois heures de charge qui vous laissent exsangue, l’ego en berne et le doute en bandoulière… Oui, le doute ! Et si ces gens avaient raison ?! Si je n’étais qu’un pâle copieur, un petit malin pas très malin qui cherche l’argent facile… Pas très malin parce que l’argent facile dans l’édition… Bref ! Non, désolé, juste un moment d’égarement. Un créateur a toujours raison ! Ce n’est pas un maniaque du compte en banque, un arriviste bien arrivé, une fripouille assoiffée, vivant du talent d’un autre, qui va me coucher !

Patience !

Trois mois plus tard… Le verdict tombe !

 

Extrait 7 des mémoires de Gordon Zola (tome 24)

 

Je suis un parasite ! Un PARASITE ! UN PARASITE ! Je me plante sur mes deux jambes bien musclées grâce à un tennis hebdomadaire face à Morgand, l’ancien chanteur des Avions… Je me regarde dans la glace. Je me passe délicatement les doigts sur le visage… Je cherche les stigmates… Les champignons, les verrues… À quoi va-t-on voir que, tel le coucou, je me couche dans le nid des autres ? Qu’y a-t-il derrière cet œil déterminé un poil moqueur ? Une fraude ? Une supercherie ? Dans quelle matière est donc fabriqué le cerveau d’un parasite ? Doit pas être très joli à voir… Peut-être ressemblé-je au portrait de Dorian Gray !

Non, décidément, à part quelques cernes, un point noir et deux aphtes, je ne vois rien de spécial… Donc, le parasite avance masqué, pirate interne, tout en hypocrisie, joue dans l’occulte, tutoie l’hermétisme. Pour sûr, avoir créé le Léopard Masqué ne plaide pas en ma faveur… Preuve écrite ! Même pas le courage d’avancer à visage découvert… Pareil pour ce nom en forme de gag Carambar, Gordon Zola ! Fait même pas rire Éric Naulleau… C’est bien la peine !

Alors, quoi ?

Et si je n’étais qu’un parasite artificiel ?

 

Extrait 8 des mémoires de Gordon Zola (tome 26)

 

J’ai donc rapidement appris que le métier d’éditeur pouvait mener à tout… Devant les tribunaux, à la ruine, à rien… Cuistrerie, supercherie, sodomisation de diptères, enfumage, prix truqués, transport de nègres, exploitations d’auteurs, usurpation, faux à-valoir, vrais médiocres, trafics en tout genre… La routine pour un métier censé vendre du rêve à la masse.

Cela fait deux ans à présent que je lutte contre l’affreux Rodwell et son armada d’avocats, deux ans que je traîne ma peau de parasite artificiel dans les salons… Deux ans que je racle les tréfonds de poche pour survivre… Deux ans que je regarde cette maudite épée de la dame aux cleps suspendue au-dessus de ma tête… Ça crin !

Si les meilleures choses ont une fin, les mauvaises aussi !

C’est à Bruxelles que j’ai appris la nouvelle… Pendant la grande foire annuelle du livre, en pleine séance de dédicaces… Le stylo véloce, le sourire conquérant et l’optimisme chevillé au corps… Mon avocat, maître Enzo Pard, m’appelle et m’annonce avec des larmes dans la voix que, pour la seconde fois, David vient de battre Goliath ! Il a le sens de la métaphore… C’est biblique ! « Allô, maître ! Vous êtes là ? Qu’est-ce que vous dites ? Quoi ? Dans le cul la balayette ? Mais qui ? Nous ? Non… Eux ? Waouuuhh ! On a gagné ? C’est vrai ? Je peux continuer à survivre, alors ? Hourraaaa ! »

Bonheur !

Serpentins ! Turlututu chapeau pointu ! Danse du ventre ! Pipi de joie ! Accolades ! Embrassades ! Défilé de journalistes… Journaux, radios, télés… toute la cohorte d’obligations médiatiques ! Inversion des valeurs ! Vous, le petit paria chancreux et mercantile, redevenez fréquentable… Vous intéressez à nouveau… Gor… don Quichotte contre les moulins… sales ! Nouveau héros pendant quarante-huit heures… C’est pas bien long, mais ça soulage. Petite pointe d’orgueil qui vous submerge…

Cependant, le retour sur Paris est plus triomphant que triomphal…

Je m’apprête à savourer en famille, entre amis… On va sabler, faire exploser les bouchons, se rappeler au bon souvenir des Cassandre…

C’est sans compter sur la farce du destin…

Il faut toujours avoir le triomphe modeste, car les saloperies de l’existence se chargent de vous rappeler les grands principes de la vie terrestre…

Le lendemain matin, tout chiffonné par une nuit de bonheur dans mon grand lit, je suis réveillé par le dring à l’ancienne du téléphone…

C’est la police !

Oui… encore…

Mais pas celle en bleu, cette fois… pas la police à contrefaçon avec huissier sur la branche (sur laquelle on est assis)… Surprise… Qu’ai-je encore fait ? Je sais que le contrefacteur sonne toujours deux fois, mais c’est promis, monsieur le juge, j’ai rien fait !

Non, aujourd’hui, c’est la police sans képi, sans uniforme… et pas de la gamme avariée, pas du petit barreau d’échelle… Non, de la police grand standing pour notable, haut de gamme pour gens spécial, pour artiste confirmé ! Le commissaire Guillaume Suitaume en personne… Vous connaissez tous, un des policiers les plus célèbres de France !

Notez bien que je m’étonne… Ce n’est pas le poulet de n’importe quelle basse-cour… Il œuvre généralement dans toutes les zones interlopes où macèrent les grands fondus, les francs glandus, les vrais hostiles, les arracheurs de dents creuses, les écraseurs de danseuses, les savants fous et les souvent faits… Aussi, sa présence au bout de mon fil a-t-elle quelque chose d’inquiétant… Aurait-il fait un faux numéro ? J’ai la main qui tremble… Quand un type comme ça vous appelle, ce n’est certainement pas pour vous dire que vos livres sont moches et qu’ils portent atteinte à la sécurité publique ! Peut-être est-ce un admirateur de mes parodies et qu’il tient à me féliciter de ma victoire contre l’English à bulbe hagard !

Il a une jolie voix, bien timbrée…

Il désire me rencontrer… simplement.

« Pourquoi ? »

Peut pas en dire plus au téléphone… Bref, je n’en sais pas plus ce jour-là, mais j’accepte de le recevoir le lendemain…

En fait, je ne vous cache pas que j’ai eu l’impression de frôler la quatrième dimension, car enfin… Disons les choses comme elles sont : Guillaume Suitaume n’est qu’une invention romanesque… Je le sais d’autant mieux que… J’en suis l’auteur.





 
 
 

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